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Célya Gruson-Daniel

Researcher, HackYourPhD & Ancre des Savoirs co-founder, #Inno3 #Open_Science #Digital_Science, #Yoga

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Cet article a été co-écrit avec Karl-William Sherlaw, Ingénieur pédagogique au Centre Virchow-Villermé, Khamsa Habouchi, Responsable MOOC Factory au Centre Virchow-Villermé</em> et Ali Sié, Centre de Santé publique de Nouna (Burkina Faso). Il a été préalablement publié sur le site The conversation en licence CC-BY-ND.


« Un jeune étudiant africain, sac en bandoulière, tenant à la main une tablette sous un soleil de plomb au milieu d’un paysage désertique ». Telle est l’image que proposait la plateforme de MOOC Coursera en 2012 sous l’onglet « À propos ».

Sur le site de Coursera Afrique. Coursera

Cette illustration faisait écho à leur slogan de l’époque qui promettait « une éducation meilleure, accessible gratuitement, à tous dans les pays développés et en développement dans le but d’améliorer leur vies et celles de leurs familles et communautés. »

Daphne Koller, co-fondatrice de la plateforme, expliquait dans une interview donnée au journal Le Monde que son ambition était ainsi de « libérer l’enseignement », « d’éduquer les gens et d’offrir les meilleurs cursus universitaires au monde entier, gratuitement » pour « une vie meilleure ». Nous étions alors en plein boom médiatique de « la révolution des MOOC », accompagné d’une rhétorique de l’ouverture et de l’universalité des savoirs.

Une ambition de développement

À l’âge d’Internet, du partage et de l’horizontalité, l’éducation allait enfin pouvoir accomplir son ambition de développement dans les pays du Sud, notamment via les MOOC. Cependant les espoirs – et les craintes – à l’égard des nouvelles technologies ne sont pas récentes et traversent toute l’histoire de l’éducation à distance, depuis la formation par correspondance, première technique de communication largement employée, jusqu’à la formation « numérique », dont les campus numériques en sont une des illustrations dans les années 2000.

La seconde vague de MOOC développés à partir de 2012 (après un premier format créé en 2008 : MOOC connectiviste) a suscité un engouement médiatique important. Ils n’ont pas échappé à la règle à la fois des discours empreints de « solutionnisme » technologique et des réticences d’un système social, politique, économique et éducatif que le numérique tend à reconfigurer.

Quelques années sont passées et les stratégies de ces plateformes numériques privées, implantées dans cet écosystème, ont quelque peu perdu de vue la notion d’ouverture ; certes l’accès aux contenus est gratuit dans la plupart des cas, mais s’accompagne dorénavant d’un coût pour tout service supplémentaire, par exemple pour l’obtention d’un certificat.

Des MOOC adaptés au contexte africain

Lorsqu’on est impliqué dans la production de tel dispositif, comment dépasser cette opposition entre mythe du partage et de la collaboration et récupération inévitable des savoirs par les nouvelles formes du capitalisme informationnel ou cognitif.

Comment penser de façon pragmatique ce lien entre numérique, éducation et impact social ? Ce sont des réflexions que le Centre Virchow-Villermé de santé publique mène depuis 2013 dans le cadre de ses missions d’enseignement et de recherche. Dans le but de proposer des formations en santé publique et globale, transversales et ouvertes à un public international, le développement d’une Fabrique à MOOC (MOOC Factory) a permis de produire 20 MOOC, qui touchent notamment un grand nombre de participants en Afrique francophone. En 2016, les nationalités les plus représentées sur la plateforme française FUN étaient le Maroc (3e position), la Côte d’Ivoire (5e), l’Algérie (6e) puis le Cameroun, le Sénégal et la Tunisie.

Cette activité de production s’est toujours accompagnée d’un regard réflexif et critique sur ce « phénomène MOOC » grâce à un travail de recherche mené en Sciences de l’Information et de la Communication sur l’ajustement de l’offre et des dispositifs d’éducation proposés.

Penser la conception, la production et la diffusion de MOOC de la façon la plus proche et la plus adaptée au contexte africain est notre principale préoccupation aux côtés bien entendu d’autres acteurs européens et internationaux majeurs (Unesco, AUF, ou EPFL pour n’en citer que quelques-uns).

Il s’agit d’avoir conscience des risques d’imposition que peuvent jouer les MOOC, tout d’abord sur le contenu enseigné et son format, ces derniers (ressources aussi bien que dispositif d’enseignement) étant issus d’un modèle pédagogique européen ou nord-américain.

Il est par ailleurs primordial de prendre en considération les difficultés d’accès et d’accessibilité au MOOC dont la première barrière concerne l’accès à l’électricité. Le récent développement de l’énergie solaire pourrait se révéler une alternative mais soulève la question de coût inaccessible.

Le problème d’électricité ouvre ainsi bien d’autres obstacles ; coût d’accès à une connexion Internet stable, problématique de la bande passante, mais aussi absolue nécessité d’avoir les compétences numériques permettant la navigation sur de telles plateformes. Sans oublier que la connaissance de l’existence des MOOC chez les étudiant(e)s africain(e)s est faible.

Finalement, il s’agit de se poser la question des modalités (forme et contenu) de l’éducation proposée dans ces pays et surtout de leur adéquation aux besoins locaux en termes de développement durable dans le domaine de la formation.

Quelques pistes

En gardant un œil critique sur nos propres actions, nous avons expérimenté quelques voies que nous exposons ici.

Tout d’abord, le développement de nos MOOC en Afrique et dont la thématique concerne cette région du monde passe par l’engagement des universités locales et par un réseau de collaborations avec des partenaires spécialistes de ces questions. Un exemple de ce type d’initiative est le MOOC « Changement climatique et santé dans le contexte africain », fruit d’une étroite collaboration entre le Burkina Faso, la France et l’Allemagne. Le cours – choix du chapitrage, des thèmes à aborder, des images d’illustrations, des activités pédagogiques – a été réalisé conjointement avec le Centre de recherche en santé de Nouna afin d’approcher au plus près les questionnements propres au contexte régional. La majeure partie (75 %) des tournages a eu lieu au Burkina Faso et a impliqué des experts du terrain présentant divers cas pratiques sur la région.

Malgré cette approche contextuelle, proposer un contenu qui réponde au mieux à l’environnement local ne règle pas la question de l’accès à ces contenus. Nos recherches sur les usages des MOOC, avec une démarche à la fois qualitative (entretiens sur le suivi des MOOC) et quantitative (analyse des traces utilisateur), permettent de mieux comprendre les pratiques des apprenants et notamment le « braconnage » à l’œuvre pour s’adapter aux difficultés d’accès et de connexion à la plateforme.

Les résultats dont nous disposons montrent notamment l’importance de la téléphonie mobile parmi les terminaux numériques utilisés pour accéder au MOOC. Dans le cadre d’une analyse portant sur les traces des participants d’un MOOC, nous observons une utilisation des supports Androïd plus élevé en Afrique subsaharienne comparée à la France (3 % en France contre 23 % en Côte d’Ivoire, 21 % au Cameroun et 18 % au Sénégal). Ils attestent de pratiques séquentielles d’utilisation de la plateforme (téléchargement des vidéos par exemple pendant la nuit puis visionnage hors ligne et retour sur la plateforme pour répondre aux quiz) permettant de contourner les limitations liées à une bande passante insuffisante.

Notre expérience de diffusion de MOOC en Afrique francophone montre aussi l’importance des documents au format PDF et des transcriptions des vidéos qui offrent des alternatives au téléchargement de vidéos longues et coûteuses en bande passante. Ces recherches aident à penser la structure même du MOOC. C’est ainsi que le projet en cours #MOOCLive a été conçu. Il consiste en la création de 6 MOOC avec l’intégration d’une analyse progressive du parcours des participants afin de proposer au fur et à mesure des résultats obtenus diverses adaptations. Dans l’intention, encore une fois, de pallier les problématiques d’accès à Internet, nous testons également d’autres supports de diffusion (clef USB pour les cours, la KoomBook de Bibliothèques sans Frontières, etc.).

Un dernier point consiste en une réflexion sur la notion même d’ouverture et d’appropriation des contenus du Centre Virchow-Villermé par les universités qui le souhaiteraient. Dans cette perspective, l’ouverture est envisagée non pas seulement sur des critères de visibilité en ligne mais aussi de possibilité de réappropriation des contenus (réutilisation, adaptation) avec l’utilisation de licence Creative Commons. Le Centre Virchow-Villermé privilégie les licences Creative Commons CC BY-SA (attribution et partage dans les mêmes conditions) puisqu’elles lui paraissent les plus compatibles aux attentes dont les MOOC se faisaient les porteurs (gratuit, ouvert, massif, en ligne) et dans la continuité des projets de ressources éducatives libres menés au sein de l’enseignement supérieur.

Ce n’est là qu’une partie d’un ensemble d’initiatives qui se montent actuellement, parmi lesquelles on compte encore le projet SOHA (Science ouverte en Afrique francophone et en Haïti) ou le projet MOOC Afrique de l’EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne). Sans retomber dans une posture solutionniste, l’idée première est d’accepter que les réponses soient trouvées dans chaque contexte donné et d’offrir, si cela est possible et de manière adaptée, les conditions les plus favorables pour permettre une réappropriation et le développement des configurations, répondant le plus aux besoins et attentes de chacun.

Celya Gruson-Daniel, Ingénieure de recherche au Centre Virchow-Villermé (USPC), Doctorante en Sciences de l'Information et de la Communication (UTC-COSTECH/Université Laval), Université Paris Descartes – USPC et Ali Sié, Directeur du Centre de Recherche en Santé de Nouna, Centre de Recherche en Santé de Nouna

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.